La légende des francs-tireurs
L’origine de cette légende remonte aux souvenirs de 1870 : durant la guerre franco-prussienne, près de 300 unités de francs-tireurs infligent à l’ennemi de sérieuses pertes. Les manuels en usage dans l’armée allemande, la formation des cadets par des vétérans de 1870 et la production littéraire perpétuèrent ces souvenirs, si bien que l’on prévoyait la présence de francs-tireurs au moment de l’invasion d’août 1914.
Chez les officiers surtout s’était développée une véritable haine des francs-tireurs perçus comme des traîtres et des assassins qui brisent les règles du jeu militaire entre professionnels. Ces idées étaient tellement enracinées que l’Allemagne, qui a pourtant signé la Convention de La Haye de 1899 et 1907, n’arrive pas à intégrer la légalité de la résistance civile (obtenue par les petits pays contre l’avis de l’Allemagne et de la Russie). Dans la vision nationaliste et militariste allemande, la guerre devient une sélection négative des plus faibles (les petits pays sont naturellement destinés à disparaître) qui permet de liquider les ennemis internes au profit de l’unité allemande et de triompher dans la lutte pour la survie contre les ennemis extérieurs. À l’évidence, cette vision offre un terrain fertile à la légende des francs-tireurs.
Dès les premiers jours de la guerre, les récits de soldats allemands montrent que leurs croyances reposent sur quelques motifs simples répétés à l’infini : bandes de civils portant les armes, prêtres catholiques fanatisant leurs ouailles, etc. Or, ces motifs réduisent les nombreuses expériences étranges ou inexplicables, donc anxiogènes, en une conspiration claire : la « levée en masse ».
Ainsi, les récits de francs-tireurs permettent d’expliquer quasi tous les événements inexplicables. L’image du franc-tireur est l’inversion de l’image de soi des militaires allemands. Le franc-tireur est lâche et invisible, tricheur et déguisé, cruel donc criminel… Or, tout homme en âge de servir est un franc-tireur potentiel. C’est la conséquence des états modernes dotés d’Armée de la Nation. Mais, en Belgique, la conscription n’étant pas complète, il y a beaucoup d’hommes dans les champs ou dans les usines. Par ailleurs, les récits allemands mettent en scène des mutilations de soldats blessés, d’empoisonnements ou d’yeux crevés, commis par des femmes et des enfants. Autrement dit, tout civil est perçu comme un danger. En outre, à cette image du franc-tireur, s’ajoute l’idée d’une résistance collective organisée par le Gouvernement belge et son roi, véritable conspiration collective du peuple tout entier. Bref, les victimes des massacres sont transformées en dangereux prédateurs, cause même de l’insécurité des militaires allemands en territoire ennemi. Le fait que ces récits apparaissent simultanément un peu partout sur le front (soit 300 km) prouve que ces croyances existaient avant l’invasion et qu’elles furent réactivées à ce moment-là.
En effet, l’invasion fut un moment particulièrement anxiogène pour les troupes allemandes. La stratégie d’encerclement pour anéantir la France reposait sur une nécessaire rapidité des troupes à travers le territoire belge. La résistance inattendue de Liège provoque immédiatement des récits de francs-tireurs. Les soldats allemands sont épuisés et désorientés (sans compter la consommation d’alcool qui provoque l’indiscipline des soldats). Certains soldats impliqués dans les massacres de Dinant avaient marché plus de 60 km la veille.
Par ailleurs, le plan Schlieffen attend tout ou presque d’un grand affrontement avec les troupes françaises. Or, la stratégie belge de l’escarmouche augmente à la fois la peur et la frustration, suscite le mépris pour cette armée de lâches qui sans cesse refusent le combat, et provoque un désir de vengeance (même les pillages seront des vengeances où l’on détruit ce qu’on ne peut emporter). Lorsque l’affrontement attendu arrive, en septembre et octobre, sur la Marne et l’Yser, la légende des francs-tireurs s’avère moins nécessaire et les massacres de civils s’arrêtent.
Chez les officiers surtout s’était développée une véritable haine des francs-tireurs perçus comme des traîtres et des assassins qui brisent les règles du jeu militaire entre professionnels. Ces idées étaient tellement enracinées que l’Allemagne, qui a pourtant signé la Convention de La Haye de 1899 et 1907, n’arrive pas à intégrer la légalité de la résistance civile (obtenue par les petits pays contre l’avis de l’Allemagne et de la Russie). Dans la vision nationaliste et militariste allemande, la guerre devient une sélection négative des plus faibles (les petits pays sont naturellement destinés à disparaître) qui permet de liquider les ennemis internes au profit de l’unité allemande et de triompher dans la lutte pour la survie contre les ennemis extérieurs. À l’évidence, cette vision offre un terrain fertile à la légende des francs-tireurs.
Dès les premiers jours de la guerre, les récits de soldats allemands montrent que leurs croyances reposent sur quelques motifs simples répétés à l’infini : bandes de civils portant les armes, prêtres catholiques fanatisant leurs ouailles, etc. Or, ces motifs réduisent les nombreuses expériences étranges ou inexplicables, donc anxiogènes, en une conspiration claire : la « levée en masse ».
Ainsi, les récits de francs-tireurs permettent d’expliquer quasi tous les événements inexplicables. L’image du franc-tireur est l’inversion de l’image de soi des militaires allemands. Le franc-tireur est lâche et invisible, tricheur et déguisé, cruel donc criminel… Or, tout homme en âge de servir est un franc-tireur potentiel. C’est la conséquence des états modernes dotés d’Armée de la Nation. Mais, en Belgique, la conscription n’étant pas complète, il y a beaucoup d’hommes dans les champs ou dans les usines. Par ailleurs, les récits allemands mettent en scène des mutilations de soldats blessés, d’empoisonnements ou d’yeux crevés, commis par des femmes et des enfants. Autrement dit, tout civil est perçu comme un danger. En outre, à cette image du franc-tireur, s’ajoute l’idée d’une résistance collective organisée par le Gouvernement belge et son roi, véritable conspiration collective du peuple tout entier. Bref, les victimes des massacres sont transformées en dangereux prédateurs, cause même de l’insécurité des militaires allemands en territoire ennemi. Le fait que ces récits apparaissent simultanément un peu partout sur le front (soit 300 km) prouve que ces croyances existaient avant l’invasion et qu’elles furent réactivées à ce moment-là.
En effet, l’invasion fut un moment particulièrement anxiogène pour les troupes allemandes. La stratégie d’encerclement pour anéantir la France reposait sur une nécessaire rapidité des troupes à travers le territoire belge. La résistance inattendue de Liège provoque immédiatement des récits de francs-tireurs. Les soldats allemands sont épuisés et désorientés (sans compter la consommation d’alcool qui provoque l’indiscipline des soldats). Certains soldats impliqués dans les massacres de Dinant avaient marché plus de 60 km la veille.
Par ailleurs, le plan Schlieffen attend tout ou presque d’un grand affrontement avec les troupes françaises. Or, la stratégie belge de l’escarmouche augmente à la fois la peur et la frustration, suscite le mépris pour cette armée de lâches qui sans cesse refusent le combat, et provoque un désir de vengeance (même les pillages seront des vengeances où l’on détruit ce qu’on ne peut emporter). Lorsque l’affrontement attendu arrive, en septembre et octobre, sur la Marne et l’Yser, la légende des francs-tireurs s’avère moins nécessaire et les massacres de civils s’arrêtent.